dimanche 10 janvier 2010

2010

Cela fait longtemps que je ne suis pas revenu ici. Il n'y a pas d'ambiguïté particulière puisque je viens ici au gré de l'envie. D'ordinaire, je n'aime pas fêter le début d'année. Toute cette litanie des voeux qui dure, qui dure...A la fin, on ne sait même plus à qui on a réellement présenté ses voeux et là où l'on s'est peut-être abstenu. Volontairement ou pas. Cela finit gentiment en flou disparate amené à disparaître. Généralement vers la fin janvier. Entre le 25 janvier et le 3 février, à supposer que l'on me demande d'être précis. Bon, ceci étant dit, il se trouve que cette année, l'envie est à peu près là de formuler des voeux. Ils pourraient être basiquement les suivants : "Très bonne année 2010 à vous tous". On pourrait même aller jusqu'à imaginer quelque chose d'un peu plus... ou d'un peu moins... Enfin quelque chose, quoi. Qui diffère. Un "Que l'année nouvelle vous soit emplie de jolies choses" par exemple. Ni plus, ni moins.

mardi 6 octobre 2009

L'appel du 8 juin



Il arrive qu'un jour, pour qui pour quoi, le cours des choses s'emballe sans crier gare. Sans prévenir ou presque. En ce qui me concerne, ce fut un dimanche de juin. Le deuxième. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien. Je me souviens juste que c'était le 8 juin, que dehors le soleil brillait haut, que l'UNESCO se félicitait de cette nouvelle journée mondiale des océans et que mes voisins de palier s'abreuvaient en fêtant bruyamment la Saint-Médard.

Dans le salon, le téléviseur projetait, comme un forcené, son halo lumineux d'images incertaines. A y regarder de plus près, il s'agissait du visage de Michel Drucker, les traits davantage tirés derrière un micro immobile. Sur la table de la salle, les restes du repas de midi. Partout dans la pièce, et plus loin, l'odeur prégnante du bœuf bourguignon. Comme une anomalie en cette saison.

J'avais décidé de rester chez moi pour lire. N'ayant plus aucune nouveauté sous la main, il me restait tout de même la possibilité de replonger dans un bouquin même si, je le savais, ce procédé avait souvent tendance à me lasser dès les premières lignes. Dans un élan de confiance absolue donnée au hasard, je baissai les paupières et retirai quatre livres des étagères bancales et poussiéreuses. J'ouvris d'abord les yeux sur Eugénie Sokolov de Gainsbourg mais l'idée de parcourir de nouveau les frasques du génie pétomane m'agaça aussitôt. Il y avait ensuite le Fairy Queen d'Olivier Cadiot, Le Maître et Marguerite de Boulgakov et Le ventre de Paris d'Hugo. Pour les Rougon-Macquart, j'avais déjà donné et, à cette heure de digestion non achevée, n'étais d'évidence pas en mesure de supporter tous ces étalages de bouffe à n'en plus finir. En proie à une possible nausée, j'eus presque la sensation de percevoir les bruits des Halles et leurs odeurs. C'était surtout celle du sang chaud que je redoutai. Il m'avait été donné, gamin, d'assister de près à une saignée de cochon. Un de ses rares moments de vérité qui permettent de se connaître davantage. L'animal, attaché par les pattes de derrière, se balançait en tous sens dans le vide en hurlant à la mort et je n'avais pu trouver là meilleure occasion de mettre des images sur de tels mots. Juste après avoir tranché la gorge du porc qui se vida en un rien de temps, l'égorgeur à l'haleine fétide m'avait dit en substance « t'verras mon p'tit' gars, avec un sang pareil, c'sera l'meilleur boudin d'la région ». Je ne pus jamais vérifier la chose et n'en fis cas.

Perdu parmi ces visions d'étals charcutiers et de cochon pendu, ne sachant plus si j'avais encore réellement l'envie de lire, j'allai respirer un peu d'air frais sur le balcon baigné de soleil. Au loin, sur les pelouses, les gamins du quartier jouaient au football. ça criait dans tous les sens. Tout comme sur le balcon mitoyen où mes voisins, plus nombreux qu'à l'habitude, ouvraient une énième bouteille en l'honneur de Médard. A ma vue, ils me proposèrent de les rejoindre et de venir trinquer avec eux à la vie, à l'amour, à la santé, à l'équipe de France, au tiercé perdu et à la Saint-Médard, nom de Dieu ! Je déclinai d'un geste de la main, simple et poli.

De retour dans mon salon, après avoir pris soin de refermer la baie vitrée dont j'appréciais chaque jour un peu plus les qualités acoustiques, je décidai de me faire un café serré avant de rejoindre la bibliothèque. D'humeur légère, j'avais la possibilité d'opter pour Cadiot et de délaisser l'œuvre singulière de Boulgakov. Au bout de quelques secondes de réflexion, dans l'incapacité de choisir et ne me sentant pas de lutter contre l'ennui envahissant, il m'apparut préférable de relancer la roue du hasard qui s'arrêta cette fois-ci sur Grec chercher Grecque de Friedrich Dürrenmatt. A la vue du titre, j'eus le sentiment d'avoir enfin trouvé ce que je ne cherchais pas et m'en réjouis. Le doute n'eut pas de prise sur moi. Je me laissai volontiers choir dans le canapé et m'enfonçai jusqu'à saturation des mousses.

Quand le téléphone sonna, le charme créé au fil de la lecture se rompit immédiatement. Un coup d'arrêt brutal qui portait en lui les germes d'une relative contrariété. Dans le même temps, une goutte de café s'échappa de ma tasse, maladroitement tenue, et chuta silencieusement sur le cuir fatigué de ma chaussure droite. Comme une ponctuation, un signe annonciateur. Qui pouvait bien m'appeler ainsi un dimanche ? Le temps de quatre ou cinq sonneries, sans réaction physique particulière de ma part, je me pris à songer qu'il pouvait s'agir, en cet instant précis où le téléphone s'était mis en branle, d'un tournant sans précédent dans ma vie. Que l'heure était peut-être venue d'y prendre véritablement pied et d'inverser cette tendance, au final détestable, qui consiste à faire se suivre les jours et les saisons selon un calendrier vide de sens. Oui, quelque événement allait advenir. Je le sentais. Comme cet écho particulier de la sonnerie du téléphone qui résonnait étrangement en moi. Habituellement, je n'aimais pas ce parasite sonore, assez rare Dieu merci, qui avait tendance à foutre la journée en l'air. J'avais trente trois ans depuis deux mois, il était temps de proclamer mon existence sur Terre.

La sixième sonnerie retentit dans la pièce et ne fit qu'accélérer le rythme de mes pensées en même temps que mon flux sanguin. On cherchait peut-être à me joindre pour me proposer de devenir acteur de cinéma. Monter à Paris pour enquiller les scènes, revêtir un cuir vieilli et me balader en scooter italien uniquement pour faire genre, m'arrêter au Trocadéro pour exciter des cars entiers de japonais, regarder l'eau couler sous les quais de Seine, rouler des patins, en veux-tu en voilà, à Marion Cotillard, acheter un trois pièces rue Oberkampf, changer de cantine tous les midis, savourer du havane dans le huitième et monter au Sacré-Cœur pour admirer la ville les soirs de pleine lune. L'idée me plut immédiatement et je m'imaginai déjà sur une affiche de film à cinq césars, en costume de lin blanc et chapeau de paille, chemise légèrement ouverte sur le torse, assis à l'ombre d'un olivier centenaire, le regard posé sur l'horizon dégagé, en train de siroter, d'une main, une coupe de champagne millésimé et caresser, de l'autre, la peau hâlée d'Emmanuelle Béart, installée tout contre moi et s'abandonnant sous la douceur du geste.

A la septième sonnerie, je me décidai de répondre. Tout en me dirigeant vers le téléphone situé dans l'entrée, je ne sais quelle inspiration me transforma illico en tireur d'élite pour une obscure et secrète organisation. Posté sur le toit d'un immeuble, j'étais vêtu d'une combinaison noire moulante avec plein de poches vides partout et d'une cagoule de commando, celle qui ne laisse apparaître que les yeux et la bouche. Aux pieds, j'avais ces espèces de Rangers souples qui maintiennent la cheville à la perfection. Celles que portent les types du GIGN ou certains convoyeurs de fonds, spécialement conçues pour les situations extrêmes genre descente en rappel ou Mawashi Geri, coup de pied circulaire. Allongé de tout mon long, immobile, l'œil droit rivé au viseur de mon arme, je ressentais en même temps que les battements de mon cœur contre le sol le poids de la responsabilité sur mes épaules. Pas un seul instant je ne quittais du regard cette fenêtre ouverte de l'immeuble d'en face, située un peu en contre-bas, et au milieu de laquelle flottait un rideau censé représenter un moine tibétain au volant d'une Ferrari parmi un improbable paysage chinois. Rien ni personne ne pouvait me soustraire à ma mission surtout pas l'odeur soutenue d'urine émanant du sol bitumeux de cette toiture-terrasse. Le doigt professionnel sur la gâchette de mon fusil à longue portée, je n'attendais qu'une seule chose : au top signal dans mon oreillette, mettre deux balles dans la tête de celui que j'apercevais très distinctement dans mon viseur, au travers du voilage affreux et de ses rizières flottant désespérément au vent.

Je décrochai et reconnus immédiatement à l'autre bout du fil le ton psalmodique de mon patron qui s'excusa brièvement de me déranger en plein repos dominical avant d'en venir au pourquoi de son appel. Sachant que je devais partir, pour la semaine entière, faire la tournée des moyennes et grandes surfaces dédiées au bricolage de la zone ouest, il m'appelait pour me demander de passer faire un saut à l'entreprise avant de prendre la route. Je lui exposai tout de même que cela m'apparaissait difficile étant donné qu'il me fallait être au Leroy-Merlin de La Rochelle pour onze heures précises. Il me répondit qu'il y avait urgence à ce qu'il me rencontre le lendemain et que ça ne pouvait pas attendre, qu'il partait lui-même vers dix heures pour le salon de Stuttgart, qu'il enchaînait ensuite directement la semaine suivante avec les Danois pour les premiers contacts commerciaux et qu'en bref La Rochelle pouvait bien m'attendre un peu. Son argumentaire fit mouche et n'ayant, pour ma part, aucune autre raison tangible à invoquer, je consentis à reporter mon arrivée en Charente-Maritime. Nous convînmes donc de se voir dès huit heures. Mon patron me salua poliment mais sans en rajouter, toussa et finit par raccrocher.
Cette conversation on ne peut plus claire sur la forme n'en restait pas moins sibylline quant au fond. Elle me laissa comme un goût amer dans la bouche. Après quelques minutes de réflexion, je ne savais toujours pas dire s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose. Aucun détail n'avait transpiré de cette voix monocorde et rien ne permettait d'imaginer dans quelle tournure d'esprit mon patron se trouvait à mon égard. D'aucuns auraient pu trouver cela inquiétant qu'on les appelle ainsi un dimanche pour leur intimer l'ordre d'être impérativement au garde-à-vous le lendemain matin. Pour ma part, je préférai ne rien penser et rester sur ces impressions positives ressenties avant de décrocher le combiné. Cela faisait bientôt dix ans que je travaillais comme commercial pour cette boîte de produits et appareillages électriques. Du lundi au vendredi, je parcourais les routes de France au volant d'une voiture de la société, avec mon imposant catalogue sur le siège passager. Plus de douze mille produits référencés selon cinq grandes catégories. Sur la multitude, une petite cinquantaine seulement assurait mon chiffre d'affaires qui restait stable grâce notamment à l'article-roi sur lequel j'excellais depuis quelques mois : l'ampoule à basse consommation.

Le soir, j'eus du mal à trouver le sommeil. Du balcon voisin provenaient des éclats de voix, des rires gras et quelques bribes de chansons de Claude François dont les reprises laissaient plus qu'à désirer. Poursuivre la lecture de Dürrenmatt me parut chose incongrue compte tenu des circonstances. De longues heures durant, j'analysai les possibilités qu'offrait cet appel du 8 juin sans véritablement aboutir à un résultat probant. Ce n'est que très tard dans la nuit que je m'endormis sur de faux-airs d'Alexandrie, Alexandra.

Le lendemain, à huit heures précises, j'arrivai au boulot. J'étais en train de saluer comme il se devait la toute nouvelle secrétaire de l'accueil quand mon patron déboula dans le hall et me pria de le suivre sur le champ dans son bureau. Dans le long couloir qui y menait, j'eus le temps d'observer du coin de l'œil cet homme à l'allure altière et qui me devança rapidement de plusieurs pas tant sa marche était rapide et cadencée. Tout bien considéré, je n'étais peut-être pas totalement étranger à cette situation. Il se pouvait fort bien que j'eusse, consciemment ou inconsciemment, laissé mon patron mener la course. Un collègue, qui ne l'était plus du reste, m'avait un jour conseillé de toujours laisser son supérieur penser qu'il l'était, naturellement et en toutes circonstances. La probabilité du retour sur investissement était, selon lui, largement préférable aux autres, et en particulier celle résultant de stratégies plus offensives.

Une fois dans son bureau, et poursuivant la démarche entamée dans le couloir, j'adoptai une attitude presque velléitaire laissant à mon patron le soin de l'engagement et du pilotage de notre entrevue. Son propos fut clair et limpide. Sa décision absolument réfléchie. L'entreprise et moi-même allions voir nos routes se séparer après un mariage pourtant sans histoires. Jamais un mot plus haut que l'autre, un rythme de croisière serein, de bon père de famille. Peut-être un peu trop justement. Selon lui, le licenciement économique semblait la meilleure solution pour tout le monde. Je ne relevai pas. Devant l'hésitation qu'il lut dans mes yeux, et pensant que j'allais intervenir, il poursuivit et enfonça le clou en m'annonçant le bénéfice d'indemnités confortables. Je me trouvai d'un coup trop à l'étroit dans mon imperméable et ne dis mot. J'étais impressionné par son professionnalisme déconcertant et par la magie qu'il déployait à me convaincre de mes compétences et de mes qualités intrinsèques. Il me démontra à quel point il était attristé de devoir se priver de tout cela et pesta contre la récession, les charges croissantes, la mort annoncée des petites et moyennes entreprises et sa toute prochaine cessation de paiement. Pourtant chargés de sens, les mots explicites sortaient de sa bouche comme des papillons lumineux qui m'enchantèrent par leur forme légère, presque aérienne. Il m'étonna par sa capacité singulière à battre en brèche toute idée de fatalisme et accompagna son discours paternaliste d'un sourire doux et bienveillant. Comme un père parle à son fils, devenu grand, de la nécessité de voler de ses propres ailes pour aller fonder, en quelque endroit certain, une famille heureuse et épanouie. Quand il me proposa enfin la parole, je n'eus rien d'autre chose à l'esprit que le remercier sincèrement pour les dix années passées dans l'entreprise.

Un peu sonné par l'entretien, considérant que mon licenciement constituait en lui-même une petite révolution que je n'avais pas vu venir et que ma vie était effectivement à l'aube d'un tournant sans précédent, il me sembla que la meilleure chose à faire, dans l'immédiat, était justement de ne rien faire. Ne surtout pas céder à la panique, s'économiser pour appréhender, dans le calme et la sérénité, le changement annoncé. Vers dix heures, je pris comme prévu la route de la Charente-Maritime. Sur l'autoroute, le trafic était fluide et ne nécessitait pas l'attention des heures de grande affluence. Au péage, un long camion à casiers métalliques, remplis de volailles, était arrêté sur le côté et trois gendarmes n'en finissaient pas de tourner autour en faisant de grands gestes. Je me rangeai du côté des forces de l'ordre et pensai qu'un tel véhicule n'avait effectivement rien à faire ici. La vue des volatiles, enfermés dans ces casiers exigus, deux par deux ou trois par trois pour les plus petits, me donna mal au cœur et me permit de réaliser que je n'étais pas une dinde, que j'étais libre et que de cette liberté, j'avais à user sans limites. J'allumai l'auto-radio et introduisis le disque Images of Sigrid de Poni Hoax.

Ce premier de mes derniers jours à vendre du câble, des ampoules, des multiprises, des télérupteurs ou des tableaux primaires se passa bien, même mieux qu'à l'habitude. Je n'avais pas laissé une minute de répit à mon interlocuteur rochelais et, sous la pression, il avait accepté de doubler ses commandes en même temps que la fréquence de ses tics qui n'avaient cessé de lui déformer le visage. Une nouvelle vie commençait.

mercredi 9 septembre 2009

Décapage (numéro 40)


En librairie le 1er octobre 2009
Ma première participation à Décapage


Chroniques

Alexis Barthet
Les objets trouvés
Alain Bertrand
La vie des choses
Vincent Delecroix
La vie secrète des philosophes
Yves Leclair
Et moi, et moi, et moi
Alban Perinet
La Pause
Grégoire Polet
De la volière
Ludovic Roubaudi
De qui se moque-t-on ?
Gavin's Clémente-Ruiz
Les Petits gestes
Laurent Sagalovitsch
Fanfaronnades
Patrick de Sinety et Marianne Paul-Boncour
Le héros de votre prochain roman
Guillaume Tavard
La fuite des galaxies
Pierre Vinclair
De l'existence des villes

Chroniques Tournante
David Boratav
Le journal littéraire
Véronique Ovaldé
À vos idoles
Iegor Gran
Et moi, je vous en pose des questions ?

Thématique
Conseils à un jeune écrivain
avec
Emmanuel Adely
Philippe Jaenada
Serge Joncour
Gabriel Matzneff
Éric Neuhoff
Dominique Noguez
Bernard Quiriny

Littérature étrangère
Bahmanyar
Traduit du persan tadjik par Stéphane A. Dudoignon
Chad Taylor
Traduit de l’anglais par Isabelle Chapman

Littérature française
Christine Avel
Cyrille Fleischman
Jean-Marie Blas de Roblès
Christophe Esnault
Gaël Brunet
Thomas Vinau

Et des illustrations de
Bobi+BobiOlivier Lerouge

Photos de couverture

mercredi 24 juin 2009

La Revue des Ressources

Ma nouvelle L'aiguille de Kéréon vient d'être publiée le 22 juin dernier dans la Revue des Ressources

dimanche 31 mai 2009

Nous trois



Ce samedi, Jean et Louise me réclament la mer. Nous sommes à table et il est déjà un peu plus de treize heures. Ils m'expliquent, d'une même voix, qu'ils souhaitent apercevoir des dauphins, écouter le chant des baleines, manger des bigorneaux et toucher les dents du requin pour voir si ce sont des vraies.

En quatrième vitesse, nous préparons nos sacs, la petite toile de tente igloo, les duvets et le grand matelas. Refermons les volets et la porte d'entrée. Dévalons les escaliers en criant à tue-tête.

Il n'y a personne sur la route. Nous avalons les kilomètres et sommes seuls au monde. Aucun des deux ne se laisse avoir par le sommeil et nous passons en revue tout le répertoire des chansons connues. Après la cinquième version d'Au clair de la lune, nous apercevons la mer, au détour d'un virage. Les enfants sont ébahis. Et moi, je suis ébahi de les voir ébahis. Je parviens tout juste à contenir l'émotion qui pointe très haut dans ma gorge et poursuis la route jusqu'au camping. Le rétroviseur me renvoie cette image apaisante de mes deux oiseaux hilares et trépignants.

Jean m'aide à monter la tente. Cette nouvelle maison magnifique quoique rose sur son sommet. Louise est aux anges.

A la plage, Jean remporte le concours du plus beau château de sable et sa soeur celui du plus gros bobo. Elle s'est ouvert le genou en tombant dans les rochers.
Nous n'avons pas vu de dauphins, ni de baleines. Juste deux méduses échouées, une nuée d'algues odorantes et une mouette pour le moins photogénique.
Le soir, je les emmène en crêperie. Ils mangent comme jamais. Des ogres que le grand air marin a réveillés.

Il est déjà très tard quand nous retournons à la tente. Tout est silencieux et calme. Mes deux bambins tombent de sommeil. Nous nous glissons avec plaisir dans nos duvets et je suis à peine installé au milieu d'eux qu'ils dorment déjà. Leur ronronnement me berce et je savoure véritablement l'instant. Comme si rien ne pouvait plus advenir. Comme si nous avions atteint notre but. Poser là nos bagages et dormir, collés les uns aux autres. Je me repasse le film de la journée, me délecte de toutes ses images. Me sentant empli d'amour. Si près d'eux.

Et à la fois si loin d'elle.

jeudi 21 mai 2009

Décapage 39


Le numéro 39 de la revue Décapage sort le 11 juin. Dans toutes les bonnes librairies. 8,50 €. Un vrai plaisir...

mardi 12 mai 2009

L'aiguille de Kéréon


De tout là-haut, par grand vent, j'entends les paquets de mer qui viennent se fracasser sur le roc et le granit. Mâchoire incontrôlée. Incessante et folle. Un fracas tel que tous les bruits habituels en sont couverts. Le craquement des chips sous mes dents devient presque feutré. Comme disparu dans le fond de ma gorge. Avalé dans la tempête. Le phare vibre sous les coups de boutoir des eaux furibondes. Chaque pierre de l'édifice tremble et attend l'accalmie. Attendre. Il n'y a que ça à faire. Rien d'autre. Tous les jours. Tout le temps.

Il n'y a rien de plus infernal que l'ennui. N'avoir strictement rien à faire. M'en ferait même presque mal au ventre. Là, juste au niveau du gros intestin. Et puis ici aussi, un peu plus haut que le sternum. La trachée comme irritée par l'ennui envahissant. Le goût âcre du désœuvrement. Insipides journées vides de tout.

Je ne quitte que très rarement la cuisine. Sauf pour aller me coucher ou quand je vais m'asseoir sur le banc de vigie, tout près des feux, le regard en asile sur l'horizon.

A côté du fourneau, je reste assis sur la chaise de paille des pans entiers de vie, de jour comme de nuit. Face à l'horloge. Tourner autour du pot et puis poser mon regard dessus. Chaque fois, m'étonner faussement de la brillance de son cadran de cuivre. Observer la grande aiguille des minutes qui fait ce qu'elle peut, poussive. Impotente. Qui n'en finit jamais de tourner, lentement. Imperceptiblement. Il y a des jours, je la plaindrais presque.

Et puis, il y a l'autre. La petite. Celle des heures. L'immobile. Celle que je guette et qui se sait épiée. Obsédante. Même pas la peine d'en parler. Ce serait lui faire trop d'honneur. Et pourtant si, j'en parle. Je ne peux faire autrement. Elle, elle bouge sans bouger. Il faut une concentration incroyable pour déceler son infime mouvement. J'en viens même à douter qu'en l'espace d'une journée, de huit heures du matin à vingt heures le soir, elle ait fait tout le tour de l'horloge. A la limite, qu'elle soit restée à sa place, un peu comme moi dans cette tour, me rassurerait presque. En même temps, je ne suis pas fou. Pas encore du moins. Je sais qu'admettre cet immobilisme serait une erreur. Que ça constituerait le premier pas vers ma folie. Je ne peux pas le dire, ni le penser. Je tente de m'en convaincre. Mais je sais que l'idée est là. Dans ma tête. Tout proche. Sous-jacente. Terrée dans quelque recoin obscur. Près de mon oreille.

Elle bouge donc, cette fine lame des heures. Il faut que je me le dise. Tous les jours que le Bon Dieu fait. La petite aiguille bouge même si je ne la vois pas évoluer. A chaque fois, je ne peux que constater son nouvel emplacement sur le cadran. Comme une sourde évidence. Fière et impudique, elle indique la nouvelle heure sans que je m'en sois rendu compte. De tout ce temps qui passe. Dont j'ai pourtant conscience et que je ressens même au plus profond de mon corps. Mais dont le cours m'est impossible à percevoir et encore moins à surprendre. Je ne parviendrai jamais à suivre des yeux cette course du temps. D'un point à un autre. D'une heure à une autre. Pouvoir discerner cette translation. La contempler et me réjouir. Applaudir. Comme une œuvre. Unique. Le temps en plein exercice. Une sculpture. La course des aiguilles. Elle me ferait presque rire cette expression. Tu parles d'une course ! Lors de la relève du phare, à califourchon sur le ballon et agrippé au câble, s'il fallait l'imiter cette foutue tige de métal, engourdie comme pas deux, j'aurais cent fois l'occasion de tomber dans la flotte et me faire massacrer par tous ces paquets d'écume. Déchaînés comme des loups blancs enragés. En deux minutes, engouffré cent pieds sous flottaison que je serais. Les poumons emplis d'eau salée à douze degrés. Jusqu'aux fondations noyées du phare. A nourrir les tourteaux.

Il y a encore quelques temps, je parvenais à l'oublier cette mauvaise fille. Le temps passait sans encombres. Il arrivait même que la nuit succède au jour sans que je sois allé me soucier du train de l'horloge. Désormais, il ne se passe pas une minute sans que je pense à elle, cette garce métallique. Inactive et obsédante. A tordre. A arracher. Pour en finir. Et puis je me ressaisis. Me raccroche aux choses. À toute cette eau environnante. Je fais semblant de l'oublier, de m'affairer à tout sauf à elle. Je passe trois fois l'éponge sur les tournesols de la nappe cirée, refais du café, vérifie la fermeture de la fenêtre, gratte un bout de sucre séché sur un carreau de faïence, remplis la carafe d'eau, bois sans soif. Feins d'observer l'horizon. Suivre du regard quelques voiles au loin. Perdues et chahutées parmi les moutons. Et finis pourtant par revenir sur elle. Attiré comme un pauvre bout ferreux sur le plus puissant des aimants. Rien à faire. Lutter devient de plus en plus dur. Illusoire. Acharnement vain qui ne fait que m'enfoncer davantage vers des profondeurs douloureuses. Jusqu'à me perdre dans ce précipice intérieur. Me pendre au-dessus du gouffre.

Je ne lis plus du tout. Ni ne sculpte. Toutes les pièces de bois apportées à Noël dernier sont encore intactes. Je n'y ai pas touché. Pas l'envie. Pas la tête à ça. La tête à rien, justement. Et c'est ça qui plombe tout. Parfois, j'ai l'impression d'avoir la tête qui va éclater sous la pression du vide. Ce bruissement dans mes oreilles. Affreux et lancinant. Comme le cri des couteaux sur la pierre à affûter. Toute une batterie de lames en marche. Une armée au pas de course. Juste là, au fond de l'oreille. Alors, je sors la tête par la plus haute fenêtre de Kéréon. Et je respire à grands coups d'air. Je remplis mes bronches le plus possible et je crie comme s'il fallait qu'on m'entende sur le continent. Au loin, tout là-bas.

Parfois, l'horizon lointain semble si proche que j'ai l'impression de le toucher du bout des doigts.
Le bras tendu au travers des vents d'Ouest.
Une douleur à l'oreille.
Et l'aiguille qui trotte.

Sans moi.