mardi 6 octobre 2009

L'appel du 8 juin



Il arrive qu'un jour, pour qui pour quoi, le cours des choses s'emballe sans crier gare. Sans prévenir ou presque. En ce qui me concerne, ce fut un dimanche de juin. Le deuxième. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien. Je me souviens juste que c'était le 8 juin, que dehors le soleil brillait haut, que l'UNESCO se félicitait de cette nouvelle journée mondiale des océans et que mes voisins de palier s'abreuvaient en fêtant bruyamment la Saint-Médard.

Dans le salon, le téléviseur projetait, comme un forcené, son halo lumineux d'images incertaines. A y regarder de plus près, il s'agissait du visage de Michel Drucker, les traits davantage tirés derrière un micro immobile. Sur la table de la salle, les restes du repas de midi. Partout dans la pièce, et plus loin, l'odeur prégnante du bœuf bourguignon. Comme une anomalie en cette saison.

J'avais décidé de rester chez moi pour lire. N'ayant plus aucune nouveauté sous la main, il me restait tout de même la possibilité de replonger dans un bouquin même si, je le savais, ce procédé avait souvent tendance à me lasser dès les premières lignes. Dans un élan de confiance absolue donnée au hasard, je baissai les paupières et retirai quatre livres des étagères bancales et poussiéreuses. J'ouvris d'abord les yeux sur Eugénie Sokolov de Gainsbourg mais l'idée de parcourir de nouveau les frasques du génie pétomane m'agaça aussitôt. Il y avait ensuite le Fairy Queen d'Olivier Cadiot, Le Maître et Marguerite de Boulgakov et Le ventre de Paris d'Hugo. Pour les Rougon-Macquart, j'avais déjà donné et, à cette heure de digestion non achevée, n'étais d'évidence pas en mesure de supporter tous ces étalages de bouffe à n'en plus finir. En proie à une possible nausée, j'eus presque la sensation de percevoir les bruits des Halles et leurs odeurs. C'était surtout celle du sang chaud que je redoutai. Il m'avait été donné, gamin, d'assister de près à une saignée de cochon. Un de ses rares moments de vérité qui permettent de se connaître davantage. L'animal, attaché par les pattes de derrière, se balançait en tous sens dans le vide en hurlant à la mort et je n'avais pu trouver là meilleure occasion de mettre des images sur de tels mots. Juste après avoir tranché la gorge du porc qui se vida en un rien de temps, l'égorgeur à l'haleine fétide m'avait dit en substance « t'verras mon p'tit' gars, avec un sang pareil, c'sera l'meilleur boudin d'la région ». Je ne pus jamais vérifier la chose et n'en fis cas.

Perdu parmi ces visions d'étals charcutiers et de cochon pendu, ne sachant plus si j'avais encore réellement l'envie de lire, j'allai respirer un peu d'air frais sur le balcon baigné de soleil. Au loin, sur les pelouses, les gamins du quartier jouaient au football. ça criait dans tous les sens. Tout comme sur le balcon mitoyen où mes voisins, plus nombreux qu'à l'habitude, ouvraient une énième bouteille en l'honneur de Médard. A ma vue, ils me proposèrent de les rejoindre et de venir trinquer avec eux à la vie, à l'amour, à la santé, à l'équipe de France, au tiercé perdu et à la Saint-Médard, nom de Dieu ! Je déclinai d'un geste de la main, simple et poli.

De retour dans mon salon, après avoir pris soin de refermer la baie vitrée dont j'appréciais chaque jour un peu plus les qualités acoustiques, je décidai de me faire un café serré avant de rejoindre la bibliothèque. D'humeur légère, j'avais la possibilité d'opter pour Cadiot et de délaisser l'œuvre singulière de Boulgakov. Au bout de quelques secondes de réflexion, dans l'incapacité de choisir et ne me sentant pas de lutter contre l'ennui envahissant, il m'apparut préférable de relancer la roue du hasard qui s'arrêta cette fois-ci sur Grec chercher Grecque de Friedrich Dürrenmatt. A la vue du titre, j'eus le sentiment d'avoir enfin trouvé ce que je ne cherchais pas et m'en réjouis. Le doute n'eut pas de prise sur moi. Je me laissai volontiers choir dans le canapé et m'enfonçai jusqu'à saturation des mousses.

Quand le téléphone sonna, le charme créé au fil de la lecture se rompit immédiatement. Un coup d'arrêt brutal qui portait en lui les germes d'une relative contrariété. Dans le même temps, une goutte de café s'échappa de ma tasse, maladroitement tenue, et chuta silencieusement sur le cuir fatigué de ma chaussure droite. Comme une ponctuation, un signe annonciateur. Qui pouvait bien m'appeler ainsi un dimanche ? Le temps de quatre ou cinq sonneries, sans réaction physique particulière de ma part, je me pris à songer qu'il pouvait s'agir, en cet instant précis où le téléphone s'était mis en branle, d'un tournant sans précédent dans ma vie. Que l'heure était peut-être venue d'y prendre véritablement pied et d'inverser cette tendance, au final détestable, qui consiste à faire se suivre les jours et les saisons selon un calendrier vide de sens. Oui, quelque événement allait advenir. Je le sentais. Comme cet écho particulier de la sonnerie du téléphone qui résonnait étrangement en moi. Habituellement, je n'aimais pas ce parasite sonore, assez rare Dieu merci, qui avait tendance à foutre la journée en l'air. J'avais trente trois ans depuis deux mois, il était temps de proclamer mon existence sur Terre.

La sixième sonnerie retentit dans la pièce et ne fit qu'accélérer le rythme de mes pensées en même temps que mon flux sanguin. On cherchait peut-être à me joindre pour me proposer de devenir acteur de cinéma. Monter à Paris pour enquiller les scènes, revêtir un cuir vieilli et me balader en scooter italien uniquement pour faire genre, m'arrêter au Trocadéro pour exciter des cars entiers de japonais, regarder l'eau couler sous les quais de Seine, rouler des patins, en veux-tu en voilà, à Marion Cotillard, acheter un trois pièces rue Oberkampf, changer de cantine tous les midis, savourer du havane dans le huitième et monter au Sacré-Cœur pour admirer la ville les soirs de pleine lune. L'idée me plut immédiatement et je m'imaginai déjà sur une affiche de film à cinq césars, en costume de lin blanc et chapeau de paille, chemise légèrement ouverte sur le torse, assis à l'ombre d'un olivier centenaire, le regard posé sur l'horizon dégagé, en train de siroter, d'une main, une coupe de champagne millésimé et caresser, de l'autre, la peau hâlée d'Emmanuelle Béart, installée tout contre moi et s'abandonnant sous la douceur du geste.

A la septième sonnerie, je me décidai de répondre. Tout en me dirigeant vers le téléphone situé dans l'entrée, je ne sais quelle inspiration me transforma illico en tireur d'élite pour une obscure et secrète organisation. Posté sur le toit d'un immeuble, j'étais vêtu d'une combinaison noire moulante avec plein de poches vides partout et d'une cagoule de commando, celle qui ne laisse apparaître que les yeux et la bouche. Aux pieds, j'avais ces espèces de Rangers souples qui maintiennent la cheville à la perfection. Celles que portent les types du GIGN ou certains convoyeurs de fonds, spécialement conçues pour les situations extrêmes genre descente en rappel ou Mawashi Geri, coup de pied circulaire. Allongé de tout mon long, immobile, l'œil droit rivé au viseur de mon arme, je ressentais en même temps que les battements de mon cœur contre le sol le poids de la responsabilité sur mes épaules. Pas un seul instant je ne quittais du regard cette fenêtre ouverte de l'immeuble d'en face, située un peu en contre-bas, et au milieu de laquelle flottait un rideau censé représenter un moine tibétain au volant d'une Ferrari parmi un improbable paysage chinois. Rien ni personne ne pouvait me soustraire à ma mission surtout pas l'odeur soutenue d'urine émanant du sol bitumeux de cette toiture-terrasse. Le doigt professionnel sur la gâchette de mon fusil à longue portée, je n'attendais qu'une seule chose : au top signal dans mon oreillette, mettre deux balles dans la tête de celui que j'apercevais très distinctement dans mon viseur, au travers du voilage affreux et de ses rizières flottant désespérément au vent.

Je décrochai et reconnus immédiatement à l'autre bout du fil le ton psalmodique de mon patron qui s'excusa brièvement de me déranger en plein repos dominical avant d'en venir au pourquoi de son appel. Sachant que je devais partir, pour la semaine entière, faire la tournée des moyennes et grandes surfaces dédiées au bricolage de la zone ouest, il m'appelait pour me demander de passer faire un saut à l'entreprise avant de prendre la route. Je lui exposai tout de même que cela m'apparaissait difficile étant donné qu'il me fallait être au Leroy-Merlin de La Rochelle pour onze heures précises. Il me répondit qu'il y avait urgence à ce qu'il me rencontre le lendemain et que ça ne pouvait pas attendre, qu'il partait lui-même vers dix heures pour le salon de Stuttgart, qu'il enchaînait ensuite directement la semaine suivante avec les Danois pour les premiers contacts commerciaux et qu'en bref La Rochelle pouvait bien m'attendre un peu. Son argumentaire fit mouche et n'ayant, pour ma part, aucune autre raison tangible à invoquer, je consentis à reporter mon arrivée en Charente-Maritime. Nous convînmes donc de se voir dès huit heures. Mon patron me salua poliment mais sans en rajouter, toussa et finit par raccrocher.
Cette conversation on ne peut plus claire sur la forme n'en restait pas moins sibylline quant au fond. Elle me laissa comme un goût amer dans la bouche. Après quelques minutes de réflexion, je ne savais toujours pas dire s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose. Aucun détail n'avait transpiré de cette voix monocorde et rien ne permettait d'imaginer dans quelle tournure d'esprit mon patron se trouvait à mon égard. D'aucuns auraient pu trouver cela inquiétant qu'on les appelle ainsi un dimanche pour leur intimer l'ordre d'être impérativement au garde-à-vous le lendemain matin. Pour ma part, je préférai ne rien penser et rester sur ces impressions positives ressenties avant de décrocher le combiné. Cela faisait bientôt dix ans que je travaillais comme commercial pour cette boîte de produits et appareillages électriques. Du lundi au vendredi, je parcourais les routes de France au volant d'une voiture de la société, avec mon imposant catalogue sur le siège passager. Plus de douze mille produits référencés selon cinq grandes catégories. Sur la multitude, une petite cinquantaine seulement assurait mon chiffre d'affaires qui restait stable grâce notamment à l'article-roi sur lequel j'excellais depuis quelques mois : l'ampoule à basse consommation.

Le soir, j'eus du mal à trouver le sommeil. Du balcon voisin provenaient des éclats de voix, des rires gras et quelques bribes de chansons de Claude François dont les reprises laissaient plus qu'à désirer. Poursuivre la lecture de Dürrenmatt me parut chose incongrue compte tenu des circonstances. De longues heures durant, j'analysai les possibilités qu'offrait cet appel du 8 juin sans véritablement aboutir à un résultat probant. Ce n'est que très tard dans la nuit que je m'endormis sur de faux-airs d'Alexandrie, Alexandra.

Le lendemain, à huit heures précises, j'arrivai au boulot. J'étais en train de saluer comme il se devait la toute nouvelle secrétaire de l'accueil quand mon patron déboula dans le hall et me pria de le suivre sur le champ dans son bureau. Dans le long couloir qui y menait, j'eus le temps d'observer du coin de l'œil cet homme à l'allure altière et qui me devança rapidement de plusieurs pas tant sa marche était rapide et cadencée. Tout bien considéré, je n'étais peut-être pas totalement étranger à cette situation. Il se pouvait fort bien que j'eusse, consciemment ou inconsciemment, laissé mon patron mener la course. Un collègue, qui ne l'était plus du reste, m'avait un jour conseillé de toujours laisser son supérieur penser qu'il l'était, naturellement et en toutes circonstances. La probabilité du retour sur investissement était, selon lui, largement préférable aux autres, et en particulier celle résultant de stratégies plus offensives.

Une fois dans son bureau, et poursuivant la démarche entamée dans le couloir, j'adoptai une attitude presque velléitaire laissant à mon patron le soin de l'engagement et du pilotage de notre entrevue. Son propos fut clair et limpide. Sa décision absolument réfléchie. L'entreprise et moi-même allions voir nos routes se séparer après un mariage pourtant sans histoires. Jamais un mot plus haut que l'autre, un rythme de croisière serein, de bon père de famille. Peut-être un peu trop justement. Selon lui, le licenciement économique semblait la meilleure solution pour tout le monde. Je ne relevai pas. Devant l'hésitation qu'il lut dans mes yeux, et pensant que j'allais intervenir, il poursuivit et enfonça le clou en m'annonçant le bénéfice d'indemnités confortables. Je me trouvai d'un coup trop à l'étroit dans mon imperméable et ne dis mot. J'étais impressionné par son professionnalisme déconcertant et par la magie qu'il déployait à me convaincre de mes compétences et de mes qualités intrinsèques. Il me démontra à quel point il était attristé de devoir se priver de tout cela et pesta contre la récession, les charges croissantes, la mort annoncée des petites et moyennes entreprises et sa toute prochaine cessation de paiement. Pourtant chargés de sens, les mots explicites sortaient de sa bouche comme des papillons lumineux qui m'enchantèrent par leur forme légère, presque aérienne. Il m'étonna par sa capacité singulière à battre en brèche toute idée de fatalisme et accompagna son discours paternaliste d'un sourire doux et bienveillant. Comme un père parle à son fils, devenu grand, de la nécessité de voler de ses propres ailes pour aller fonder, en quelque endroit certain, une famille heureuse et épanouie. Quand il me proposa enfin la parole, je n'eus rien d'autre chose à l'esprit que le remercier sincèrement pour les dix années passées dans l'entreprise.

Un peu sonné par l'entretien, considérant que mon licenciement constituait en lui-même une petite révolution que je n'avais pas vu venir et que ma vie était effectivement à l'aube d'un tournant sans précédent, il me sembla que la meilleure chose à faire, dans l'immédiat, était justement de ne rien faire. Ne surtout pas céder à la panique, s'économiser pour appréhender, dans le calme et la sérénité, le changement annoncé. Vers dix heures, je pris comme prévu la route de la Charente-Maritime. Sur l'autoroute, le trafic était fluide et ne nécessitait pas l'attention des heures de grande affluence. Au péage, un long camion à casiers métalliques, remplis de volailles, était arrêté sur le côté et trois gendarmes n'en finissaient pas de tourner autour en faisant de grands gestes. Je me rangeai du côté des forces de l'ordre et pensai qu'un tel véhicule n'avait effectivement rien à faire ici. La vue des volatiles, enfermés dans ces casiers exigus, deux par deux ou trois par trois pour les plus petits, me donna mal au cœur et me permit de réaliser que je n'étais pas une dinde, que j'étais libre et que de cette liberté, j'avais à user sans limites. J'allumai l'auto-radio et introduisis le disque Images of Sigrid de Poni Hoax.

Ce premier de mes derniers jours à vendre du câble, des ampoules, des multiprises, des télérupteurs ou des tableaux primaires se passa bien, même mieux qu'à l'habitude. Je n'avais pas laissé une minute de répit à mon interlocuteur rochelais et, sous la pression, il avait accepté de doubler ses commandes en même temps que la fréquence de ses tics qui n'avaient cessé de lui déformer le visage. Une nouvelle vie commençait.

mercredi 9 septembre 2009

Décapage (numéro 40)


En librairie le 1er octobre 2009
Ma première participation à Décapage


Chroniques

Alexis Barthet
Les objets trouvés
Alain Bertrand
La vie des choses
Vincent Delecroix
La vie secrète des philosophes
Yves Leclair
Et moi, et moi, et moi
Alban Perinet
La Pause
Grégoire Polet
De la volière
Ludovic Roubaudi
De qui se moque-t-on ?
Gavin's Clémente-Ruiz
Les Petits gestes
Laurent Sagalovitsch
Fanfaronnades
Patrick de Sinety et Marianne Paul-Boncour
Le héros de votre prochain roman
Guillaume Tavard
La fuite des galaxies
Pierre Vinclair
De l'existence des villes

Chroniques Tournante
David Boratav
Le journal littéraire
Véronique Ovaldé
À vos idoles
Iegor Gran
Et moi, je vous en pose des questions ?

Thématique
Conseils à un jeune écrivain
avec
Emmanuel Adely
Philippe Jaenada
Serge Joncour
Gabriel Matzneff
Éric Neuhoff
Dominique Noguez
Bernard Quiriny

Littérature étrangère
Bahmanyar
Traduit du persan tadjik par Stéphane A. Dudoignon
Chad Taylor
Traduit de l’anglais par Isabelle Chapman

Littérature française
Christine Avel
Cyrille Fleischman
Jean-Marie Blas de Roblès
Christophe Esnault
Gaël Brunet
Thomas Vinau

Et des illustrations de
Bobi+BobiOlivier Lerouge

Photos de couverture

mercredi 24 juin 2009

La Revue des Ressources

Ma nouvelle L'aiguille de Kéréon vient d'être publiée le 22 juin dernier dans la Revue des Ressources

dimanche 31 mai 2009

Nous trois



Ce samedi, Jean et Louise me réclament la mer. Nous sommes à table et il est déjà un peu plus de treize heures. Ils m'expliquent, d'une même voix, qu'ils souhaitent apercevoir des dauphins, écouter le chant des baleines, manger des bigorneaux et toucher les dents du requin pour voir si ce sont des vraies.

En quatrième vitesse, nous préparons nos sacs, la petite toile de tente igloo, les duvets et le grand matelas. Refermons les volets et la porte d'entrée. Dévalons les escaliers en criant à tue-tête.

Il n'y a personne sur la route. Nous avalons les kilomètres et sommes seuls au monde. Aucun des deux ne se laisse avoir par le sommeil et nous passons en revue tout le répertoire des chansons connues. Après la cinquième version d'Au clair de la lune, nous apercevons la mer, au détour d'un virage. Les enfants sont ébahis. Et moi, je suis ébahi de les voir ébahis. Je parviens tout juste à contenir l'émotion qui pointe très haut dans ma gorge et poursuis la route jusqu'au camping. Le rétroviseur me renvoie cette image apaisante de mes deux oiseaux hilares et trépignants.

Jean m'aide à monter la tente. Cette nouvelle maison magnifique quoique rose sur son sommet. Louise est aux anges.

A la plage, Jean remporte le concours du plus beau château de sable et sa soeur celui du plus gros bobo. Elle s'est ouvert le genou en tombant dans les rochers.
Nous n'avons pas vu de dauphins, ni de baleines. Juste deux méduses échouées, une nuée d'algues odorantes et une mouette pour le moins photogénique.
Le soir, je les emmène en crêperie. Ils mangent comme jamais. Des ogres que le grand air marin a réveillés.

Il est déjà très tard quand nous retournons à la tente. Tout est silencieux et calme. Mes deux bambins tombent de sommeil. Nous nous glissons avec plaisir dans nos duvets et je suis à peine installé au milieu d'eux qu'ils dorment déjà. Leur ronronnement me berce et je savoure véritablement l'instant. Comme si rien ne pouvait plus advenir. Comme si nous avions atteint notre but. Poser là nos bagages et dormir, collés les uns aux autres. Je me repasse le film de la journée, me délecte de toutes ses images. Me sentant empli d'amour. Si près d'eux.

Et à la fois si loin d'elle.

jeudi 21 mai 2009

Décapage 39


Le numéro 39 de la revue Décapage sort le 11 juin. Dans toutes les bonnes librairies. 8,50 €. Un vrai plaisir...

mardi 12 mai 2009

L'aiguille de Kéréon


De tout là-haut, par grand vent, j'entends les paquets de mer qui viennent se fracasser sur le roc et le granit. Mâchoire incontrôlée. Incessante et folle. Un fracas tel que tous les bruits habituels en sont couverts. Le craquement des chips sous mes dents devient presque feutré. Comme disparu dans le fond de ma gorge. Avalé dans la tempête. Le phare vibre sous les coups de boutoir des eaux furibondes. Chaque pierre de l'édifice tremble et attend l'accalmie. Attendre. Il n'y a que ça à faire. Rien d'autre. Tous les jours. Tout le temps.

Il n'y a rien de plus infernal que l'ennui. N'avoir strictement rien à faire. M'en ferait même presque mal au ventre. Là, juste au niveau du gros intestin. Et puis ici aussi, un peu plus haut que le sternum. La trachée comme irritée par l'ennui envahissant. Le goût âcre du désœuvrement. Insipides journées vides de tout.

Je ne quitte que très rarement la cuisine. Sauf pour aller me coucher ou quand je vais m'asseoir sur le banc de vigie, tout près des feux, le regard en asile sur l'horizon.

A côté du fourneau, je reste assis sur la chaise de paille des pans entiers de vie, de jour comme de nuit. Face à l'horloge. Tourner autour du pot et puis poser mon regard dessus. Chaque fois, m'étonner faussement de la brillance de son cadran de cuivre. Observer la grande aiguille des minutes qui fait ce qu'elle peut, poussive. Impotente. Qui n'en finit jamais de tourner, lentement. Imperceptiblement. Il y a des jours, je la plaindrais presque.

Et puis, il y a l'autre. La petite. Celle des heures. L'immobile. Celle que je guette et qui se sait épiée. Obsédante. Même pas la peine d'en parler. Ce serait lui faire trop d'honneur. Et pourtant si, j'en parle. Je ne peux faire autrement. Elle, elle bouge sans bouger. Il faut une concentration incroyable pour déceler son infime mouvement. J'en viens même à douter qu'en l'espace d'une journée, de huit heures du matin à vingt heures le soir, elle ait fait tout le tour de l'horloge. A la limite, qu'elle soit restée à sa place, un peu comme moi dans cette tour, me rassurerait presque. En même temps, je ne suis pas fou. Pas encore du moins. Je sais qu'admettre cet immobilisme serait une erreur. Que ça constituerait le premier pas vers ma folie. Je ne peux pas le dire, ni le penser. Je tente de m'en convaincre. Mais je sais que l'idée est là. Dans ma tête. Tout proche. Sous-jacente. Terrée dans quelque recoin obscur. Près de mon oreille.

Elle bouge donc, cette fine lame des heures. Il faut que je me le dise. Tous les jours que le Bon Dieu fait. La petite aiguille bouge même si je ne la vois pas évoluer. A chaque fois, je ne peux que constater son nouvel emplacement sur le cadran. Comme une sourde évidence. Fière et impudique, elle indique la nouvelle heure sans que je m'en sois rendu compte. De tout ce temps qui passe. Dont j'ai pourtant conscience et que je ressens même au plus profond de mon corps. Mais dont le cours m'est impossible à percevoir et encore moins à surprendre. Je ne parviendrai jamais à suivre des yeux cette course du temps. D'un point à un autre. D'une heure à une autre. Pouvoir discerner cette translation. La contempler et me réjouir. Applaudir. Comme une œuvre. Unique. Le temps en plein exercice. Une sculpture. La course des aiguilles. Elle me ferait presque rire cette expression. Tu parles d'une course ! Lors de la relève du phare, à califourchon sur le ballon et agrippé au câble, s'il fallait l'imiter cette foutue tige de métal, engourdie comme pas deux, j'aurais cent fois l'occasion de tomber dans la flotte et me faire massacrer par tous ces paquets d'écume. Déchaînés comme des loups blancs enragés. En deux minutes, engouffré cent pieds sous flottaison que je serais. Les poumons emplis d'eau salée à douze degrés. Jusqu'aux fondations noyées du phare. A nourrir les tourteaux.

Il y a encore quelques temps, je parvenais à l'oublier cette mauvaise fille. Le temps passait sans encombres. Il arrivait même que la nuit succède au jour sans que je sois allé me soucier du train de l'horloge. Désormais, il ne se passe pas une minute sans que je pense à elle, cette garce métallique. Inactive et obsédante. A tordre. A arracher. Pour en finir. Et puis je me ressaisis. Me raccroche aux choses. À toute cette eau environnante. Je fais semblant de l'oublier, de m'affairer à tout sauf à elle. Je passe trois fois l'éponge sur les tournesols de la nappe cirée, refais du café, vérifie la fermeture de la fenêtre, gratte un bout de sucre séché sur un carreau de faïence, remplis la carafe d'eau, bois sans soif. Feins d'observer l'horizon. Suivre du regard quelques voiles au loin. Perdues et chahutées parmi les moutons. Et finis pourtant par revenir sur elle. Attiré comme un pauvre bout ferreux sur le plus puissant des aimants. Rien à faire. Lutter devient de plus en plus dur. Illusoire. Acharnement vain qui ne fait que m'enfoncer davantage vers des profondeurs douloureuses. Jusqu'à me perdre dans ce précipice intérieur. Me pendre au-dessus du gouffre.

Je ne lis plus du tout. Ni ne sculpte. Toutes les pièces de bois apportées à Noël dernier sont encore intactes. Je n'y ai pas touché. Pas l'envie. Pas la tête à ça. La tête à rien, justement. Et c'est ça qui plombe tout. Parfois, j'ai l'impression d'avoir la tête qui va éclater sous la pression du vide. Ce bruissement dans mes oreilles. Affreux et lancinant. Comme le cri des couteaux sur la pierre à affûter. Toute une batterie de lames en marche. Une armée au pas de course. Juste là, au fond de l'oreille. Alors, je sors la tête par la plus haute fenêtre de Kéréon. Et je respire à grands coups d'air. Je remplis mes bronches le plus possible et je crie comme s'il fallait qu'on m'entende sur le continent. Au loin, tout là-bas.

Parfois, l'horizon lointain semble si proche que j'ai l'impression de le toucher du bout des doigts.
Le bras tendu au travers des vents d'Ouest.
Une douleur à l'oreille.
Et l'aiguille qui trotte.

Sans moi.

samedi 9 mai 2009

Galet

Lors d'un week-end passé en bord de mer, il ramassa au hasard un galet parmi tant d'autres. Il le déposa dans sa poche intérieure de veste. De retour chez lui, tard le dimanche soir, il raviva le feu de cheminée et s'installa dans le vieux club de cuir, enroulé dans un plaid de laine d'Ecosse. Il ressortit le galet et le contempla un instant. Toucher agréable de ce bout de roche, devenu lisse et beau, du fait d'une lente érosion.

Il constata que le travail du temps mêlé à celui des éléments corrosifs permettait de dégager un substrat plus qu'acceptable, presque parfait. Cours de l'érosion suspendu parce qu'il en avait décidé ainsi. Le galet n'aurait plus jamais à subir les grands coups de vent, les attaques de sable et de sel, les coups portés par des paquets de mer déchaînés, les soirs de tempête. Finie la houle incessante, les entrechocs avec ces semblables et surtout, surtout, le poids des hommes aux semelles rugueuses.

jeudi 7 mai 2009

Tous autant qu'ils sont


Tous autant qu'ils sont.

Je n'ai jamais vraiment aimé la piscine. D'un point de vue hygiénique s'entend. Comme je n'ai jamais vraiment aimé le bus ou l'hypermarché le samedi après-midi. En fait, et à bien y réfléchir, je n'ai jamais vraiment aimé tous ces autres.
Ils m'irritent. Tous autant qu'ils sont.
Parmi eux, je m'agglutine difficilement. Je suffoque, obligé. Silencieusement pour ne pas attirer davantage leur attention. Qu'ils ne s'approchent surtout pas. Qu'ils s'éloignent plutôt. Au pas de course. Loin. Loin de moi. Incommodantes situations que de respirer leur air vicié. Serrer des mains moites. Apercevoir leurs pupilles dilatées, leurs lèvres frénétiques et desséchées. Remarquer le déchaussement avancé de leurs dents jaunies. Sentir leur haleine fétide. Glauque. Comme l'annonce d'un début de pourrissement. Souffrir leurs pieds infectés et mycosiques. Imaginer leurs glandes sinistrées. Surprendre, dans l'espace d'une seconde à oublier, une boule de cérumen se décoller d'une oreille disgracieuse et tomber sur le plat d'une épaule, parmi des pellicules grasses. Comme une offense de plus.
Ils m'insupportent. Tous autant qu'ils sont.
Les vieux, impotents, cloués dans leur fauteuil aux roues voilées. Bavant tout ce qu'ils peuvent dans un mouchoir inchangé depuis des mois. Pauvre étoffe, imprimé écossais noirci par tous ces rejets de tabac à priser. Horrible création. Statue de coton. Art dégénéré. Tissu rigidifié, à force d'y collecter toute cette lymphe nasale. Signe, entre autres, que la vie est encore là. Ces êtres faibles et puants, attendant médiocrement la fin devant Questions pour un Champion. Vérifier s'ils sont encore en capacité de garder les yeux ouverts jusqu'aux informations régionales sur la troisième chaîne. Je les imagine, infâmes, campés à un mètre de leur téléviseur. Le tube cathodique trentenaire. Le napperon crasseux et pendant. La poupée autrichienne sale et dégingandée. Un tout en décomposition. Poussiéreux. Un tout jubilatoire et édenté, tout près du poste. Le réfrigérateur ouvert. Émanations mélangées de Livarot et d'urine. Le bas souillé et la salopette poisseuse. En bleu de travail pour décliner dans le salon. Dans ce siège électrique. Pas une chaise. Un fauteuil. Qui permet la mise à l'horizontale. Lever des guiboles variqueuses. Pour roupiller ou davantage. Avaler des langues de chat dures comme des galets et siroter un jus d'ananas frelaté. Périmé depuis deux ans. Comme eux. Une pomme à la main. A épépiner. Attendre de quitter ce trois pièces pour un quatre planches. Se réjouir de la concession sur le versant à l'ombre et préférer, en secret, le modèle en orme massif plutôt que le pin. Ne pas faire comme l'autre con de voisin, misérable lésineur qui n'avait pas retenu les poignées.
Ils m'indisposent. Tous autant qu'ils sont.
Pas seulement les vieux. Les jeunes aussi. Tous ces pantins à capuche bariolée, sciemment débraillés. Le pantalon aux genoux pour qu'on ne voit que leur slip doré. « Vous pouvez regarder mon slip car, voyez-vous, je perds mon froc. » Des strings aussi. Bien sûr. De toutes les couleurs. Des ficelles. « Vous pouvez regarder ma ficelle car, voyez-vous, je perds mon froc ». Oui, voilà ce qu'ils sont tous ces naïfs à boutons : la génération qui perd son froc. Celle qui bouffe de la glace Häagen Dazs et qui tourne au Coca zéro. Qui pleure l'obésité comme le nucléaire ou la faim dans le monde. Racaille incendiaire, mollardant tous les cinq mètres sur le macadam abîmé des cités ou petits bobos infatués, le bocal enflé et désespérément vide, casseurs non assumés. Autant de créatures décérébrées. A peine bachelières. Le crâne trop rasé ou trop chevelu. Alourdi par ces implants ignobles. Nuques de métal. Androgynes grisés et pourtant sans matière. Ides faméliques, surnageant dans la boue environnante. Pauvres êtres monosyllabiques, à la bouche malade, communiquant par sms nécessiteux à coups de mauvais calembours qui n'en sont pas. De blagues salaces incomprises et répétées. Intelligence intermittente. En fugue. Mendiants acculturés, individus indivis. Souches insignifiantes, sans fondements, sans allure, sans thune, sans humour et bientôt sans froc. Juste les pectoraux gonflés, siliconés, le slim bas et rempli, sans poches. Et le noir surlignant d'un mascara. Pas n'importe lequel. Waterproof et vibrant.
Ils m'exaspèrent. Tous autant qu'ils sont.
Et sinon, ce matin, j'ai acheté un 9 mm.


Je suis en train de lire "Toute une affaire" de Sibylle Grimbert et j'avoue prendre un plaisir tout nouveau, particulier, tout entier consacré à accompagner le personnage de Sabine, cette âme en peine, déliquescente et sublime. Empruntée à souhait, adorablement gauche, vraie, sincèrement authentique. Sybille Grimbert a plus qu'un univers. Elle a la capacité de mettre autant de mots trouvés, juste pile poil, sur toute cette intériorité singulière, admirablement décrite. Tout est fouillé, travaillé. Nous, lecteurs privilégiés, n'avons qu'a suivre la direction donnée. Sans difficulté aucune. Cela coule à la perfection. On se laisse volontiers bercer, par un rythme admirablement maîtrisé, dans tous ces affrontements intérieurs, la douleur insoupçonnée générée par le fait familial, le lien fraternel. Unique. Incroyablement marquant. Le personnage de Daniel est bien amené comme celui de Timothée. Autant de relations à triturer, dans tous les sens. Cette soeur, benjamine et perdue, est tout simplement troublante, en un mot, charmante. On abhorre Sanglay en même temps qu'on admire cette entreprise aussi forte que les liens du sang... Je suis entièrement conquis, sans aucune réserve et continue cette lecture délectable que je ne peux qu'encourager...

J'en suis juste ici, page 127, passage typique et admirable de ce déchiffrage féminin du monde environnant et du moi surnageant dans l'embarras absolu : "J'ai eu l'impression que j'allais mourir, ou plutôt j'ai eu l'impression qu'il aurait mieux valu que je meure sur-le-champ puisque, par ma faute, Sanglay allait sûrement faire faillite. Même si je savais que j'exagérais, quelque chose de terrible m'empêchait de contrôler des visions d'empires dévastés".

mardi 5 mai 2009

Jeff Wall


After Invisible Man by Ralph Ellison, The Prologue, 1999 © Jeff Wall


Inspiré du roman Invisible Man de Ralph Ellison, Ce tableau-photo de Jeff Wall est tout simplement fascinant. Il s'agit d'un homme tombé dans une cave à charbon après une émeute et qui suspend 1369 ampoules raccordées illégalement au réseau électrique de la ville. De dos, l’homme observe un phonographe et semble absorbé par la musique, un air de jazz. On retrouve ici les thèmes de prédilection du photographe nord américain, l’absorption, la marginalité, l’exclusion et une subtile évocation de l’extraordinaire… Comme pour Ellison, le symbole est absolument indissociable de la réalité.

Monsieur Charles Juliet


« Je n’ai jamais décidé d’employer telle ou telle forme. Cela s’est fait au fur et à mesure de mon cheminement… De toute manière, quel que soit mon mode d’écriture, j’ai le sentiment que je dis toujours la même chose. Il est sans cesse question de cette même aventure intérieure. Je ne sais rien dire d’autre… »
« Travailler un bloc de pierre ou travailler sur les mots, c’est une manière d’intervenir sur soi-même, de se sculpter intérieurement, de pétrir sa pulpe. »

« Il me fallait pénétrer dans ma mémoire, dans mon inconscient, tenter d’y projeter un maximum de clarté »

« Pardonne, ô mère, à l’enfant qui t’a poussée dans la tombe »

« L’écriture était le moyen de faire face à cette culpabilité et de l’éliminer… »

« Il faut partir à sa découverte et s’engendrer. Nous naissons physiquement et nous avons à naître ontologiquement. Tant qu’on n’a pas pris conscience d’une manière extrêmement intense, vivante, des recès de sa psyché, on n’a pas fait ce travail de dénudation qui prépare la venue de la seconde naissance. »

« … on écrit aussi parfois à partir de ses empêchements, de ses insuffisances. Le manque est un moteur puissant, et c’est pour combler un manque qu’on écrit. Si nous étions véritablement heureux, nous n’aurions pas à écrire. »

mardi 28 avril 2009

Narcose

Dans le salon silencieux, le téléviseur projette, comme un forcené, son halo lumineux d'images incertaines. A y regarder de plus près, il s'agit du visage de Michel Drucker, les traits davantage tirés derrière un micro immobile.

Sur la table de la salle, les restes du repas de midi. Partout dans la pièce, et plus loin, l'odeur prégnante du bœuf bourguignon.

Comme une anomalie en cette saison.

Sur le tapis persan, gît un livre éventré. Quelques pages se sont froissées.
Comme des Lambeaux.

Une main pend juste au-dessus, les doigts décrispés dans leur moiteur.
Le pouls est pâle.

Au-dehors, les Tuileries brillent presque dans une allure assourdissante et des familles nombreuses se laissent porter aveuglément sur des épaules réjouies.

Dans la seule chaleur d'un canapé, cette narcose comble ta vie. Dans ses plus grands interstices. Démesurés.

Tu la bénis car elle t'éloigne de ces pigeons idiots. Qui s'approchent par dizaines et s'éloignent. S'envolent pour de faux. Miment mal leur crainte répétée. Se posent quelques mètres plus loin, près du banc voisin, cette chimère.

Puis reviennent. Mécaniquement. Le regard de côté, inchangé et outrancier.

Depuis longtemps déjà, tu ne peux plus souffrir ce monde. Tout. Ces cars entiers, venus de loin, qui sacrifient leurs dernières miettes pour les photographier davantage. Toujours plus près des volatiles. Instants improbables, figés à jamais.

En même temps, je crie ton absence au monde, frénétique et excessive.

Et referme la porte sur ton apnée.

vendredi 24 avril 2009

Cahin Chaos

Je songe de plus en plus souvent à déménager. Pour un peu moins grand. Un peu moins cher. Une pièce de moins peut-être. Certainement une pièce de moins.

Je me dis qu'il y a comme une forme de logique à penser cela. Une sorte de loi naturelle qui nous dépasse et à laquelle nous ne pouvons échapper. Supprimer une pièce comme pour se défaire du vide environnant et fuir le manque. Retrouver le cours des choses. Pour eux. Pour moi. Faire que les jours se suivent à nouveau. Imperceptiblement. Comme les perles pour enfants sur un bout de laine fatiguée. Malgré tout.

La veille, elle avait réservé son après-midi pour se trouver une petite robe en vue du mariage d'une lointaine cousine. Peu après le goûter des enfants, elle était revenue la mine réjouie avec une création à prix cassé. A peine arrivée, elle s'était empressée de passer sa trouvaille pour que je puisse l'admirer complètement. La robe était magnifique. Les coutures de biais donnaient à l'étoffe son mouvement à la fois ample et mesuré. Presque intime. Sur sa peau, l'organdi ne semblait que caresse sauvage, comme tissé pour elle seule, à même son corps.
Entre autres choses, elle avait aussi acheté de nouveaux maillots de bain pour les petits, une crème protectrice contre les ultraviolets, un chapeau de paille pour moi et des pastilles pour le lave-vaisselle.

L'été s'annonçait sous les meilleurs auspices.

jeudi 23 avril 2009

PONI HOAX

Quelques dates prochaines des Poni Hoax. Pour ceux qui ne connaissent pas, le clip de leur tube Antibodies
  • 17 avr. 2009 - 20:00 - Unwound Club - Padova, Italy
  • 18 avr. 2009 - 20:00 - Locomotiv Club - Bologne, Italy
  • 30 avr. 2009 - 20:00 - Club Coatelan - Morlaix
  • 1 mai 2009 - 20:00 - L'Ephémère - Vannes
  • 2 mai 2009 - 20:00 - Les Aralunaires - Arlon
  • 8 mai 2009 - 20:00 - Frenc Revolution @ 93 Feet East - London
  • 9 mai 2009 - Les Afters des Nuits Botaniques @ Recyclart - Brussels, Brussels-capital
  • 11 juin 2009 - 20:00 - Caribana Festival - Crans, Genf
  • 12 juin 2009 - 20:00 - Sismic Festival - Sierre, Wallis
  • 26 juin 2009 - 20:00 - Solidays - Paris
  • 4 juil. 2009 - 20:00 - Arvika Festival - Arvika
  • 6 juil. 2009 - 20:00 - Calvi On the Rocks - Calvi, Corse
  • 10 juil. 2009 - 20:00 - Chauffer dans la Noirceur Festival - Montmartin sur Mer, Basse-Normandie

jeudi 16 avril 2009

Hippocrate

Le coin du cabinet, situé à gauche de la fenêtre, derrière le bureau, méritait d’être originalement meublé. Il me fallait trouver quelque chose qui capte le regard des patients. Un élément décoratif fort, porteur d'une signification particulière. Après une heure passée à considérer, sous tous les angles, cet endroit de la pièce, l’idée m’était finalement venue d’installer un buste d’Hippocrate. En plus, que d’attirer les regards, m’asseoir juste à ses côtés allait renforcer ma nouvelle identité professionnelle. Comme placé sous la protection de cet antique parent, premier médecin dans l'esprit de tous. Je n’étais certes pas un descendant naturel d’Hippocrate, ayant consacré tant de jours et de nuits à potasser des manuels de cardiologie et des précis de gynécologie, avec pour seule compagnie la présence silencieuse de barres céréalières. Je n’avais pas non plus frôlé l'arythmie à la réussite de l’internat, ni pris une cuite monumentale la nuit suivante. Non, je n’étais pas tout cela. Et auprès de ce lointain ancêtre, je ne revendiquais qu’une seule chose. Qu’il m’adopte sans autre forme de procès. Pas de serment, pas de reconnaissance officielle. Juste un sentiment de bienveillance, fruit du hasard de la vie.

Après quelques heures de recherche sur différents forums et sites spécialisés, j’avais fini par trouver un buste auprès d’un collectionneur qui accepta de s’en séparer moyennant finances substantielles. Il s’agissait d’une oeuvre en plâtre qui avoisinait les soixante centimètres de hauteur. Le marbre comme matériau m’aurait davantage plu mais je n’avais ni le temps ni l’argent pour poursuivre mes recherches en ce sens. J’avais expressément demandé au collectionneur d’être rapide dans l’envoi du colis et même de faire appel à un coursier, le cas échéant. Je n'imaginais pas un seul instant recevoir mon premier patient sans la présence d'Hippocrate. A chacun son gri-gri.

dimanche 12 avril 2009

She's Lost Control

She's Lost control, Joy Division

Confusion in her eyes that says it all.
She's lost control.
And she's clinging to the nearest passer by,
She's lost control.
And she gave away the secrets of her past,
And said i've lost control again,
And a voice that told her when and where to act,
She said i've lost control again.

And she turned around and took me by the hand and said,
I've lost control again.
And how i'll never know just why or understand,
She said i've lost control again.
And she screamed out kicking on her side and said,
I've lost control again.
And seized up on the floor, i thought she'd die.
She said i've lost control.
She's lost control again.
She's lost control.
She's lost control again.
She's lost control.

Well i had to 'phone her friend to state my case,
And say she's lost control again.
And she showed up all the errors and mistakes,
And said i've lost control again.
But she expressed herself in many different ways,
Until she lost control again.And walked upon the edge of no escape,
And laughed i've lost control.
She's lost control again.
She's lost control.
She's lost control again.
She's lost control.

I could live a little better with the myths and the lies,
When the darkness broke in, i just broke down and cried.
I could live a little in a wider line,
When the change is gone, when the urge is gone,
To lose control, when here we come.




samedi 11 avril 2009

Dans la peau de Nicolas

Editions Le Serpent à plumes


"Le premier roman positif sur Nicolas Sarkozy ; un ton vif et enjoué ; un angle original et décalé. Nicolas Sarkozy est un type étrange, maladroit, qui s’agite dans tous les sens, mais qui a souvent raison sur le fond. C'est un personnage de roman évident. J’ai eu envie d’essayer de le comprendre. Pour écrire ce livre, je me suis glissé dans ses mocassins à glands. J’ai fait l’amour à Cécilia et Carla à bord du Falcon présidentiel. J’ai comparé les deux. J’ai serré des millions de mains et baillé en conseil des ministres. On m’a attaqué dans tous les journaux et on m’a accusé de contrôler les médias. Pour écrire ce livre, j’ai pris tous les risques. Comme écouter du Mireille Mathieu et du Enrico Macias en musique de fond. Je mets au défi n’importe quel écrivain d’écrire une ligne en écoutant “Enfant de tous Pays”.


Dans la peau de Nicolas est donc le roman intime du président. Le premier livre positif sur Sarkozy, puisqu’écrit à la première personne par Nicolas lui-même. Dans la peau de Nicolas est un roman écrit à la première personne par quelqu'un qui l'aime bien. David Angevin souhaite qu'on lui pardonne d’avance d’être un réac (avec plein d’amis bronzés), un ami du grand capital (sans un rond), de soutenir l’homme qui donne les clés de la France à Israël et l’Amérique. Il aime bien le nouveau président."

Grec cherche Grecque

Grec cherche Grecque, Friedrich Dürrenmatt

« Mon Dieu ! » fit Madame Bieler stupéfaite. « Vous êtes Grec ? » et elle considéra fixement le physique épais, balourd et plutôt nordique de M. Archilochos.
« Oh, je sais bien, Madame Bieler » dit-il humblement « que je n'ai pas exactement ce qu'on appelle le type grec, et il y a d'ailleurs très longtemps que mon ancêtre a immigré dans ce pays et est mort à Nancy au côté de Charles le Hardi. Non, je n'ai plus le type grec. Je l'avoue. Mais maintenant, Madame Bieler, dans cette brume, par ce froid et sous cette pluie, j'ai la nostalgie de mon pays – cela m'arrive souvent l'hiver – de mon pays que je n'ai jamais vu, du Péloponnèse avec ses roches rouges et son ciel bleu (j'ai lu quelque chose là-dessus dans Match) et c'est pourquoi je ne voudrais épouser qu'une Grecque car elle doit se sentir ici aussi seule que moi »
« Vous êtes un vrai poète » avait alors répondu Georgette et elle s'était essuyé les yeux.

Rêve


A l'hôtel, la nuit qui suivit me fut pénible et agitée. Je fis ce rêve étrange dans lequel j'apparaissais comme le gendre de François Mitterrand de par un mariage en catimini avec Mazarine Pingeot. Nous étions à la campagne, dans une maison de famille ou quelque chose comme ça et profitions de la joie simple et authentique d'un grand feu de bois qui crépitait. Près de l'âtre situé sur le mur de refend, assis dans un Voltaire, le Président grillait silencieusement des brochettes de marshmallows qu'il tenait fermement, le bras tendu et immobile, au dessus des flammes. Blottie contre moi, Mazarine attendait patiemment la caramélisation de la guimauve tout en évoquant le rôle fondamental du conatus, expression de la puissance d'une chose ou d'un individu, dans la théorie des affects chez Spinoza. Je l'écoutais en contemplant, au loin, le jour céder derrière une haie vive de grands châtaigniers.

Le salon communiquait par un étroit corridor, long d'une bonne dizaine de mètres, avec une petite pièce toute carrelée et sans fenêtre. Une pièce d'armes peut-être dans laquelle mon patron discourait avec des Danois à l'air grave et hautement cravatés. Il négociait des marges arrières tout en dépeçant le gibier chassé et tué l'après-midi même. Au fond de la pièce, une odeur de poudre émanait des longs canons de carabines Winchester impeccablement rangées dans un porte-fusils en merisier. Sur la gauche, la porte entrouverte d'une cuisine. Apparaissant dans l'embrasure et déjouant les hasards de la vie, Danièle laissait un apollon, collé à elle, guider ses mains armées d'un couteau dans la découpe d'une énorme dinde. Il se pouvait que l'on soit à Noël.

Tout le bonheur du monde semblait comme s'être amassé dans ce coin de campagne, à l'abri du monde et des affres de la République, entre les murs épais de cette chartreuse à l'atmosphère particulière. Le jeu des contrastes accentuait le caractère intemporel de l'ensemble. Comme une aquarelle de Turner, en clair-obscur. Le sentiment partagé de sérénité ne dura qu'un temps, jusqu'à ce que mon beau-père ne s'étouffe avec une boule de guimauve brûlante. Subitement, il lâcha piques et brochettes, se saisit à la gorge et tenta de recracher, en vain la sucrerie coincée dans sa trachée. Mon patron accourut, les Danois dans ses pas. Tout le monde gesticulait en hurlant tandis que Mazarine pleurait en observant son Président de père suffoquer.

Comme par enchantement, un médecin arriva, un stéthoscope autour du cou, mais s'évanouit aussitôt à la vue du Président au bord de l'asphyxie. L'instinct me poussa alors à me placer derrière mon beau-père. Je lui relevai les bras et l'encerclai des miens au niveau de la poitrine. Le manque d'oxygène le rendait inerte comme une poupée de chiffon. Les poings serrés contre son sternum, je donnai un violent coup qui le libéra. Le bout de guimauve tomba au sol, roula quelques mètres et s'immobilisa sur le seuil de l'entrée. Après s'être relevé et avoir retrouvé ses esprits, le Président me prit par l'épaule et nous fîmes quelques pas vers un endroit plus au calme. Il me remercia d'une sincère et chaleureuse poignée de mains avant de me glisser à l'oreille que la République Française, dans l'instant présent, ne pouvait savoir à quel point elle me devait une fière chandelle.

Le radio-réveil se mit en marche à six heures et trente minutes. J'ouvris difficilement les yeux en même temps que les ondes diffusaient Salma Ya Salama de Dalida.

Décapage n° 38


Le 15 avril 2009 dans toutes les bonnes librairies...

Septième sonnerie

A la septième sonnerie, je me décidai de répondre. Tout en me dirigeant vers le téléphone situé dans l'entrée, je ne sais quelle inspiration me transforma illico en tireur d'élite pour une obscure et secrète organisation. Posté sur le toit d'un immeuble, j'étais vêtu d'une combinaison noire moulante avec plein de poches vides partout et d'une cagoule de commando, celle qui ne laisse apparaître que les yeux et la bouche. Aux pieds, j'avais ces espèces de Rangers souples qui maintiennent la cheville à la perfection. Celles que portent les types du GIGN ou certains convoyeurs de fonds, spécialement conçues pour les situations extrêmes genre descente en rappel ou Mawashi Geri, coup de pied circulaire. Allongé de tout mon long, immobile, l'œil droit rivé au viseur de mon arme, je ressentais en même temps que les battements de mon cœur contre le sol le poids de la responsabilité sur mes épaules. Pas un seul instant je ne quittais du regard cette fenêtre ouverte de l'immeuble d'en face, située un peu en contre-bas, et au milieu de laquelle flottait un rideau censé représenter un moine tibétain au volant d'une Ferrari parmi un improbable paysage chinois. Rien ni personne ne pouvait me soustraire à ma mission surtout pas l'odeur soutenue d'urine émanant du sol bitumeux de cette toiture-terrasse. Le doigt professionnel sur la gâchette de mon fusil à longue portée, je n'attendais qu'une seule chose : au top signal dans mon oreillette, mettre deux balles dans la tête de celui que j'apercevais très distinctement dans mon viseur, au travers du voilage affreux et de ses rizières flottant désespérément au vent.