samedi 11 avril 2009

Rêve


A l'hôtel, la nuit qui suivit me fut pénible et agitée. Je fis ce rêve étrange dans lequel j'apparaissais comme le gendre de François Mitterrand de par un mariage en catimini avec Mazarine Pingeot. Nous étions à la campagne, dans une maison de famille ou quelque chose comme ça et profitions de la joie simple et authentique d'un grand feu de bois qui crépitait. Près de l'âtre situé sur le mur de refend, assis dans un Voltaire, le Président grillait silencieusement des brochettes de marshmallows qu'il tenait fermement, le bras tendu et immobile, au dessus des flammes. Blottie contre moi, Mazarine attendait patiemment la caramélisation de la guimauve tout en évoquant le rôle fondamental du conatus, expression de la puissance d'une chose ou d'un individu, dans la théorie des affects chez Spinoza. Je l'écoutais en contemplant, au loin, le jour céder derrière une haie vive de grands châtaigniers.

Le salon communiquait par un étroit corridor, long d'une bonne dizaine de mètres, avec une petite pièce toute carrelée et sans fenêtre. Une pièce d'armes peut-être dans laquelle mon patron discourait avec des Danois à l'air grave et hautement cravatés. Il négociait des marges arrières tout en dépeçant le gibier chassé et tué l'après-midi même. Au fond de la pièce, une odeur de poudre émanait des longs canons de carabines Winchester impeccablement rangées dans un porte-fusils en merisier. Sur la gauche, la porte entrouverte d'une cuisine. Apparaissant dans l'embrasure et déjouant les hasards de la vie, Danièle laissait un apollon, collé à elle, guider ses mains armées d'un couteau dans la découpe d'une énorme dinde. Il se pouvait que l'on soit à Noël.

Tout le bonheur du monde semblait comme s'être amassé dans ce coin de campagne, à l'abri du monde et des affres de la République, entre les murs épais de cette chartreuse à l'atmosphère particulière. Le jeu des contrastes accentuait le caractère intemporel de l'ensemble. Comme une aquarelle de Turner, en clair-obscur. Le sentiment partagé de sérénité ne dura qu'un temps, jusqu'à ce que mon beau-père ne s'étouffe avec une boule de guimauve brûlante. Subitement, il lâcha piques et brochettes, se saisit à la gorge et tenta de recracher, en vain la sucrerie coincée dans sa trachée. Mon patron accourut, les Danois dans ses pas. Tout le monde gesticulait en hurlant tandis que Mazarine pleurait en observant son Président de père suffoquer.

Comme par enchantement, un médecin arriva, un stéthoscope autour du cou, mais s'évanouit aussitôt à la vue du Président au bord de l'asphyxie. L'instinct me poussa alors à me placer derrière mon beau-père. Je lui relevai les bras et l'encerclai des miens au niveau de la poitrine. Le manque d'oxygène le rendait inerte comme une poupée de chiffon. Les poings serrés contre son sternum, je donnai un violent coup qui le libéra. Le bout de guimauve tomba au sol, roula quelques mètres et s'immobilisa sur le seuil de l'entrée. Après s'être relevé et avoir retrouvé ses esprits, le Président me prit par l'épaule et nous fîmes quelques pas vers un endroit plus au calme. Il me remercia d'une sincère et chaleureuse poignée de mains avant de me glisser à l'oreille que la République Française, dans l'instant présent, ne pouvait savoir à quel point elle me devait une fière chandelle.

Le radio-réveil se mit en marche à six heures et trente minutes. J'ouvris difficilement les yeux en même temps que les ondes diffusaient Salma Ya Salama de Dalida.

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