jeudi 7 mai 2009

Tous autant qu'ils sont


Tous autant qu'ils sont.

Je n'ai jamais vraiment aimé la piscine. D'un point de vue hygiénique s'entend. Comme je n'ai jamais vraiment aimé le bus ou l'hypermarché le samedi après-midi. En fait, et à bien y réfléchir, je n'ai jamais vraiment aimé tous ces autres.
Ils m'irritent. Tous autant qu'ils sont.
Parmi eux, je m'agglutine difficilement. Je suffoque, obligé. Silencieusement pour ne pas attirer davantage leur attention. Qu'ils ne s'approchent surtout pas. Qu'ils s'éloignent plutôt. Au pas de course. Loin. Loin de moi. Incommodantes situations que de respirer leur air vicié. Serrer des mains moites. Apercevoir leurs pupilles dilatées, leurs lèvres frénétiques et desséchées. Remarquer le déchaussement avancé de leurs dents jaunies. Sentir leur haleine fétide. Glauque. Comme l'annonce d'un début de pourrissement. Souffrir leurs pieds infectés et mycosiques. Imaginer leurs glandes sinistrées. Surprendre, dans l'espace d'une seconde à oublier, une boule de cérumen se décoller d'une oreille disgracieuse et tomber sur le plat d'une épaule, parmi des pellicules grasses. Comme une offense de plus.
Ils m'insupportent. Tous autant qu'ils sont.
Les vieux, impotents, cloués dans leur fauteuil aux roues voilées. Bavant tout ce qu'ils peuvent dans un mouchoir inchangé depuis des mois. Pauvre étoffe, imprimé écossais noirci par tous ces rejets de tabac à priser. Horrible création. Statue de coton. Art dégénéré. Tissu rigidifié, à force d'y collecter toute cette lymphe nasale. Signe, entre autres, que la vie est encore là. Ces êtres faibles et puants, attendant médiocrement la fin devant Questions pour un Champion. Vérifier s'ils sont encore en capacité de garder les yeux ouverts jusqu'aux informations régionales sur la troisième chaîne. Je les imagine, infâmes, campés à un mètre de leur téléviseur. Le tube cathodique trentenaire. Le napperon crasseux et pendant. La poupée autrichienne sale et dégingandée. Un tout en décomposition. Poussiéreux. Un tout jubilatoire et édenté, tout près du poste. Le réfrigérateur ouvert. Émanations mélangées de Livarot et d'urine. Le bas souillé et la salopette poisseuse. En bleu de travail pour décliner dans le salon. Dans ce siège électrique. Pas une chaise. Un fauteuil. Qui permet la mise à l'horizontale. Lever des guiboles variqueuses. Pour roupiller ou davantage. Avaler des langues de chat dures comme des galets et siroter un jus d'ananas frelaté. Périmé depuis deux ans. Comme eux. Une pomme à la main. A épépiner. Attendre de quitter ce trois pièces pour un quatre planches. Se réjouir de la concession sur le versant à l'ombre et préférer, en secret, le modèle en orme massif plutôt que le pin. Ne pas faire comme l'autre con de voisin, misérable lésineur qui n'avait pas retenu les poignées.
Ils m'indisposent. Tous autant qu'ils sont.
Pas seulement les vieux. Les jeunes aussi. Tous ces pantins à capuche bariolée, sciemment débraillés. Le pantalon aux genoux pour qu'on ne voit que leur slip doré. « Vous pouvez regarder mon slip car, voyez-vous, je perds mon froc. » Des strings aussi. Bien sûr. De toutes les couleurs. Des ficelles. « Vous pouvez regarder ma ficelle car, voyez-vous, je perds mon froc ». Oui, voilà ce qu'ils sont tous ces naïfs à boutons : la génération qui perd son froc. Celle qui bouffe de la glace Häagen Dazs et qui tourne au Coca zéro. Qui pleure l'obésité comme le nucléaire ou la faim dans le monde. Racaille incendiaire, mollardant tous les cinq mètres sur le macadam abîmé des cités ou petits bobos infatués, le bocal enflé et désespérément vide, casseurs non assumés. Autant de créatures décérébrées. A peine bachelières. Le crâne trop rasé ou trop chevelu. Alourdi par ces implants ignobles. Nuques de métal. Androgynes grisés et pourtant sans matière. Ides faméliques, surnageant dans la boue environnante. Pauvres êtres monosyllabiques, à la bouche malade, communiquant par sms nécessiteux à coups de mauvais calembours qui n'en sont pas. De blagues salaces incomprises et répétées. Intelligence intermittente. En fugue. Mendiants acculturés, individus indivis. Souches insignifiantes, sans fondements, sans allure, sans thune, sans humour et bientôt sans froc. Juste les pectoraux gonflés, siliconés, le slim bas et rempli, sans poches. Et le noir surlignant d'un mascara. Pas n'importe lequel. Waterproof et vibrant.
Ils m'exaspèrent. Tous autant qu'ils sont.
Et sinon, ce matin, j'ai acheté un 9 mm.

3 commentaires:

  1. Magnifique ! Comme je me reconnais dans cet écrit !!!
    Virginie Blondeau

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  2. Vous êtes un humaniste, agissez !
    Je suis sûr que vos moyens dépassent 9mm.

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